Troisième séquence : À la gare

Publié le par Editions de l'Abat-Jour

Crevert rêvassait à une fragile terrasse verte, et pourtant, il avait eu une sérieuse ingestion de vin la veille et, de ce fait, il sirotait un verre d’eau de vache, sans culpabiliser pour autant sur l’incompréhensible attitude du Maréchal pendant la guerre.

 L’Écholapsus :
Cette allusion à Philippe Pétain et au gouvernement de Vichy peut nous être précieuse. Elle démontre que l’auteur est, au moins, de culture francophone.

L’important n’est pas l’endroit où l’on glace le Tépapoly actuellement, mais plutôt le contexte dans lequel l’idée du Tépapoly est née.
Le côté acoustique est-il un choix ?
Et son amplitude ? Qui fait du monde un océan où le Tépapoly serait un archipel ?

Crevert se souvint de Psychæ.
― Quel gommage que cette brave petite Psychæ soit actuellement à Combes-la-Buse, dans la cellule KZ-14, pensa-t-il, j’aurais aimé lui parler.
Puis, pensivement, il s’accouda au « parapet » qui longeait la Gare Centrale.
Allait-il revoir Psychœ ? Son cœur battait d’un fol espoir.
Il allait pouvoir la prendre dans ses chèvres, l’initier et lui dire tout ce qu’il n’avait jamais osé lui dire…
Tellement et tellement et tellement de chaumes qu’elle en attraperait la migraine.
Il réfléchissait, tout en claquant des doigts. À propos, comment ce roman allait-il se terminer, pour la phonation du Père Fétiche ? La question ne se posait pas.
En vérité, il n’y songeait déjà plus.
Son esprit avait ainsi de ces sautes d’humeur irréversibles.

 L’Écholapsus :
 
Pure Fustige/ père Fétiche (?), les « a » semblent devenir des « o », et inversement les « o » semblent se transformer en « a »… les « é » et les « è » en « u ».
Gardons bien ce procédé en mémoire, car cela pourra peut-être nous servir.

Il avait grand faim à présent et il se régalait à l’avance du succulent repas qu’il allait s’offrir. Il se dirigea vers le buffet de la Gare, et là, sans hésiter, il commanda une copie de plat de spaghetti et un grand verre de vin. Cela ne nous impressionnera pas, nous qui savons que les gares et les hôtels sont les lieux où les Romains s’empoignent.

L’Écholapsus :
Sans poigne, voilà encore un peu d’eau ajoutée au moulin du vin qui semble déjà jouer un grand rôle dans le récit.
Nous verrons plus loin qu’il revêt au fur et à mesure une menace grandissante...

Il mangeait hâtivement, sec et nerveux, en buvant son cépage à longs traits goulus, il lançait des regards obliques à travers les vitres opaques qui dominaient sur le quai où, bientôt, la belle Psychœ allait débarquer. On aurait dit un fou.
Ah, Psychœ ! Que de parties de Tépapoly ils allaient pouvoir disputer ensemble.
L’azur s’ouvrait sur un avenir riche et prometteur. Le ciel s’illuminait sous l’éblouissant soleil de juin, la vie coulait, tranquille, dans une insouciance thérapeutique.
Crevert tapotait du doigt le rebord de son « assiette » vide.
Saperlipopette ! Le train avait malheureusement un renard probable de dix à vingt minutes.
Il commanda :
― Un autre verre, s’il vous plait.
― Encore un verre de vin, m’sieur Crevert ?
― Oui, merci.

L’Écholapsus :
Cette familiarité du barman peut nous surprendre, mais n’oublions pas que Crevert n’en est certainement pas à sa première partie de Tépapoly, et que conséquemment il a dû absorber du vin à cet endroit vingt ans plus tôt.

Puis il replongea son astuce vers la fameuse vitre.
Se rendant subitement compte que pendant dix à vingt minutes il n’y aurait absolument rien à voir, il acheta une ébauche de journal humoristique et lut, en riant et en savourant son vin.
Sur quoi, il alluma une bonne et lourde pipe qu’il fuma bien à son aise.
― Cette chère Psychœ, pensait-il, doit bien s’ennuyer dans ce train. Il me tarde de la revoir et de bien lui expliquer tout ce qui se passe.

L’Écholapsus :
Ce côté fumeur de pipe que Crevert va probablement exploiter (de façon déloyale), tout au long du récit, lui donnera une bonne bouille bien sympathique, et un caractère bibliophile, probablement irrité de sa propre misogynie.


Georgie de Saint-Maur

 
Quelles conclusions tirer de cet épisode ? Comment joue-t-on au Tépapoly ?
Quel sera le prochain coup de Crevert ? Quel est le rôle de Psychæ ? Doit-on vraiment chercher à comprendre l’attitude du Maréchal pendant la guerre ?

 

Écho n°36, par Georgie de Saint-Maur :
Nous voici arrivés à un moment crucial, celui de la bonne continuation.
Dans son livre « La Vingt-troisième lame », paru aux défuntes éditions du Nez, Michèle Crapuvano expliquait que le père Fétiche était la vingt-troisième lame majeure du tarot divinatoire de Marseille. Elle le comparait à Actéon, ce chasseur transformé en cerf, pour avoir vu Diane au bain.
Encore la chasse à courre. 

Écho n°37, par Dominique : 
Cher Georgie,
Je crois avoir compris. Crevert (Crevel ― Crève elle) est mort depuis 20 ans. Il erre dans une gare pourrie et désaffectée où aucun train, jamais, ne viendra. Il boit le sang du Christ en espérant une impossible absolution. Car il a tué une petite fille, ou même deux petites filles : Psychiatrique ou psychomotrice. Il ne sait quoi faire et pose des actes débiles en espérant revoir le fantôme des Noëls passés. Crevert est un genre de Dracula, toujours rédempteur.
Quant au Tépapoly : T'es pas poli toi-même espère de raclure de bidet ! 
Suis-je dans le vrai ?

Écho n°38, par Georgie de Saint-Maur :
Chère Dominique,
Voilà pas mal de temps (20 ans ?), que j'attendais une interprétation de ce type.
Oui, Crevert est
coupable de quelque chose c'est certain. Peut-être devrions-nous attendre les épisodes suivants, avant de révéler des informations orientées ?
Psychoe et Psychae sont en effet des âmes perdues qui errent de cellule en cellule. Nous avons vu que ces cellules étaient les cases d'un échiquier.
Je vous félicite pour votre perspicacité et je vous remercie de votre commentaire. 

Écho n°39, par Jennifer :
Bonjour,
je crois que toute cette histoire a déjà été écrite par quelqu'un d'autre. J'ai déjà lu ça quelque part.
Ce feuilleton est paru dans un magazine en 1972... Je fouille. 
ennifer

Écho n°40, par Franck Joannic :
Deux petites questions qui me taraudent pour Georgie :
- est-ce que le mot en grec introduisant les premiers épisodes est un indice en lui-même, ou une énième fausse piste ?
- comment faut-il interpréter les deux orthographes Psychae/Psychoe ? Un simple glissement de voyelles, ou peut-on penser qu'il y a deux « versions » du même personnage, peut-être éloignées dans le temps (la Psychae du père Fétiche / la Psychae de Crevert) ? 

Écho n°41, par Philippe Sarr :
Cher Georgie,
C
ette fois, mon commentaire se limitera aux questions suivantes :
1 - le hasard occupe-t-il une grande place dans le jeu du Tépapoly ?
2 - si tel est le cas, Crevert n'est-il pas un « hasardeux objectif », l'Echolapsus son principal réceptacle, le Père Fétiche, sa raison d'être ?
3 - Psychae n'est-elle pas l'anti-Crevert ? 

Écho n°42, par S.C.S. :
Cher Georgie,
Que de lapsus bucoliques :
vache - Vichy
gommage - dommage
chèvres - bras
chaumes - choses
renard - retard (encore ce renard ! est-ce lui que j'avais pris plus tôt pour un cavalier de l'échiquier ?)
astuce - regard
... 

Écho n°43, par Georgie de Saint-Maur :
Cher Franck,
La traduction des mots en grec qui préfacent les épisodes (Griphos-Balkis-Mètis) donnerait embrouillé, sombre ; mystérieux (avec de grosses réserves sur la traduction). Je ne me souviens plus de l'origine de ces mots, que j'avais lus dans un bouquin sur l'obscurantisme.
En grec, il existe deux
esprits (accents), l'un est rude l'autre doux. Ce sont ces deux esprits qui ont engendré Psychoe et Psychae.
Le mot psyché (psuchè) veut dire l'âme.
Ames incarnées en deux personnages féminins.
Bravo pour avoir entrevu que le texte pourrait se dérouler dans des « temps » différents. On nous présente les protagonistes dans un éternel présent. Méfiance. Certains d'entre eux jouent à un jeu ou bien ont déjà joué à un jeu.
Si cette action est terminée, soit ils rejouent (ce qui semble être le cas), soit ils passent leur tour et reprennent le texte dans une diagonale.
Merci pour ces questions pertinentes. J'espère sincèrement avoir levé un petit coin du voile.

Écho n°44, par Georgie de Saint-Maur :
Cher Philippe,
Le Tépapoly (autrefois métapoly), est un jeu de plateau avec abscisses et ordonnées des cases mais il est plus
virtuel que réel. Le hasard en ce qu'il peut parfois s'exprimer à travers des objets (lancement de dés, de pièces de monnaie, tirage de cartes), est bien au rendez-vous. La définition de Crevert est plus qu"intéressante, et je vous en félicite !
L'écholapsus pose un problème. Un réceptacle dites-vous ? Ce n'est pas faux mais la participation par délégation fonctionne bien mal. L'écholapsus et le Père Fétiche sont les personnages les moins fiables du récit.
Quant au Tépapoly, la définition la plus proche a été donnée par Franck Joannic : c'est un jeu qui vise à percer le sens du texte. Il ne faut certes pas perdre cela de vue.
Non, Psychae (et Psychoe), ne sont pas les anti-Crevert. Ce sont assurément deux jumelles dont le rôle va aller en se précisant. Je pourrais difficilement, à ce stade, en dire plus.
Merci pour ces intelligentes suggestions. N'oubliez surtout pas de lire tous les commentaires, la réponse s'y trouve déjà ou presque.
Vous êtes des devineurs de première force. 

Écho n°45, par Georgie de Saint-Maur :
Cher S.C.S,
Non ce renard n'est pas le dessin rouge dans lequel vous aviez reconnu des pièces du jeu d'échecs. Il s'agit d'une
Licorne et d'un pion.
Le
renard qui passe est un jeu d'enfants. Le connaissez-vous ?
Je cous félicite pour la plupart de vos commentaires, en ce sens ; qu'ils me paraissent éclairés. La devinette perpétuelle du Père craque sous votre pression et s'enfuit, comme un renard, face à votre traque. Suivez votre instinct comme les chasseurs leurs chiens.
N'hésitez pas à remettre tout ce que vous savez en cause. Crevert est-il vraiment le héros de ce livre ? Est-ce un livre ?
Le
Père a l'air facile à lire et même un petit peu rigolo. Méfiance les relations que l'on tisse avec le Père sont dangereuses...
Je vous remercie du fond du cœur d'en prendre le risque.