Editions de l'Abat-Jour

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Dans les épisodes précédents :
Psychœ commence tout doucement à sucrer des fraises.
Crevert l’assomme à coups d’hôtel.

Palais des progrès...

Lorsque le nain Crevert et la belle Psychœ, motivés par le meurtre, pénétrèrent dans le Palais des progrès, ils gagnèrent, sans perdre un instant en description inutile, la salle où allait se dérouler la conférence de presse du fameux maître Bougebouche.

Ils franchirent la porte monumentale et se mêlèrent à la foule des Hommes de Cuc (et des Femmes de Cuc dont, il faut bien le dire, on parle beaucoup moins, mais qui sont indispensables à la reproduction de nos amis).

L’atmosphère torpide additionnait des bourdonnements de conversations lourds et des mugissements incommodants.

Un bar à vin fonctionnait dans le corridor et engendrait de multiples va-et-vient serviles de la part des hommes pour désaltérer les dames.

Tout le monde avait ôté toges et cagoules et elles gisaient empilées sur les dossiers des sièges.

Nos deux agents s’approchèrent du bar. L’invention d’Angelo Mariani serait-elle au rendez-vous ?

— Deux verres de vin, commanda Crevert, plein d’attentes.

Psychœ se babina les pourlèches.

— Je ne peux malheureusement pas deviner ce qui va se passer, dit Crevert avec impuissance, je ne sais pas me servir de ma boule de cristal. Tu vas peut-être devoir prendre la parole. On ne sait jamais. Alors essaie au moins d’être drôle.

— Euh… Razmot se prévalait du droit du sol ! bégaya Psychœ en clignant des yeux plusieurs fois.

— Razmot ?

— Euh, non, Mozart… Je veux dire : Mozart se prévalait du droit du sol !

Une nuée de consternation envahit la voûte du Palais.

— Mais c’est nul ! s’indigna le nain jaune.

— Oh, oui, pardon, j’ai oublié « dièse », rectifia Psychœ, il fallait dire « sol dièse ».

— Dies iræ, oui… surtout ne dis pas un mot. Jamais !

Le vin ayant déçu toutes leurs espérances, ils gagnèrent le dernier rang.

L’éclairage d’ambiance se modifia tandis que les rideaux pourpres qui masquaient la scène semblèrent frémir.

Tout à coup, ils s’ouvrirent au son d’une petite musique de fanfare et un personnage boursouflé d’optimisme annonça sur le ton d’un présentateur de téléson :

— Mesdames et Messieurs, nous avons le plaisir exceptionnel d’accueillir ici, ce soir, notre maître Bougebouche. C’est un homme qui, durant quarante ans et demi, a marqué le Métapoly de son empreinte indélébile.

Un torrent de vivats et d’acclamations pétilla.

— Bon sang, juronna le nain jaune, cette histoire commence sur des chapeaux de boue !

Bougebouche, remonté comme une bretelle, monta à la tribune et se mit à tournoyer en beuglant :

— Plus un livre est compliqué, plus il faut de temps pour le comprendre.

Après un court instant d’incompréhension, cette amorce provoqua un chuchotement admiratif. Les Hommes de Cuc paraissaient subjugués.

— Et le temps consacré à le lire sera une aubaine pour tous les Personnages qui le peuplent. Car leur vie s’en trouvera prolongée d’autant.

Ce communiqué fit naître une immense ovation, un mélange d’espoir et de confiance.

— C’est cela que nous apportera un antitexte orthodoxe. Non seulement, il nous permettra de vivre à satiété, mais, en restant attractif, il nous garantira même une relecture.

La fin de la phrase se perdit dans la nourriture d’un crépitement d’applaudissements.

— Le Rescrit sera une bénédiction pour nous tous.

Les cris des Hommes de Cuc se mélangeaient à ceux de la basse-cour. Ovation, sifflements, huées, rires… Tout partait à vau-l’eau.

— Toutefois, écuma Bougebouche comme un chapeau melon, il génèrera fatalement le développement de Personnages secondaires malveillants.

Nos deux complices sentirent une panique justifiée s’emparer d’eux.

Singulièrement, les spectateurs autour d’eux se retournèrent.

Tous les Hommes de Cuc se retournèrent, dans un silence de mort, et les fixèrent d’un air étrange.